Méditation et absence d’ego
(Ici et pour la suite de l’article, je prends la définition du Robert : “Sujet pensant” et ses synonymes : je, moi, personnalité).
Une expérience personnelle comme déclic
Quand je me suis mis à méditer, il y a une expérience qui m’a marqué. Je me souviens très bien de l’effet que ça m’a fait. Une claque. Un peu comme quand j’ai découvert que le père Noël n’existait pas.
🧘♂️ En méditant, on est invité à orienter son attention sur sa respiration. C’est souvent le point de départ.
Puis on est amené à être conscient des sensations dans notre corps et des pensées qui traversent notre esprit, sans s’identifier à elles. Évidemment, plus facile à dire qu’à faire et on se retrouve vite perdu dans ses pensées !
À ce moment-là, celui où tu te rends compte que tu es en train de penser, la méditation guidée que je suivais m’invite à “look for the one who is thinking”, (🇫🇷 Cherche celui qui est en train de penser, en français). Donc moi je look pour celui qui est en train de penser et bim !
Et je me retrouve à ressentir tout un tas de sensations ! Dans le cou, les épaules, le bout des doigts, sur le nez, dans le bas du dos, les genoux, les pieds… Mais là où je pensais que j’étais pour prendre des décisions et contrôler ma vie, derrière mes yeux, entre mes deux oreilles : rien.
🤯 Quelle sensation étrange !
Absence d’ego
🤔 Comment ça, absence d’ego ?
C’est très flou. C’est absurde même ! Et puis quel intérêt de venir perturber mon mode de pensée ?
Au gré de rencontres, j’ai commencé à m’intéresser à la question et à chercher à comprendre cet autre point de vue. Jusqu’au moment où je me suis retrouvé avec un “je” un peu trop en perdition, loin d’être capable de gérer mes pensées et mes émotions.
Puis il y a eu cette expérience avec la méditation, comme un nouveau point de départ.
☕ Sûrement qu’il faut un choc assez intense pour accepter (réussir ?) de changer sa perception des choses. Ce n’est pas une décision qu’on prend comme on commande une bière ou qu’on décide d’aller faire un tour. Ce n’est pas non plus le genre de discussion que tu abordes autour d’un café le jeudi matin, alors je me suis retrouvé un peu seul avec cette nouvelle expérience et mes interrogations.
Bon, j’abuse quand je dis que j’étais seul car j’ai rapidement trouvé des ressources sur le sujet, avec des origines très différentes !
Trois courants de pensée qui partagent le même message
Ce qu’en dit le Bouddhisme
L’absence d’ego, c’est un des messages partagés par le Bouddhisme, pour qui il s’agit d’une illusion qui nous maintient en enfer et nous empêche d’atteindre le Nirvana. C’est le fait de penser qui crée l’illusion du “Soi” et qui la source des malheurs de l’Homme.
Il semble que c’est aussi le cas pour d’autres religions comme le Taoïsme et l’Hindouïsme !
La vision de Baruch Spinoza
Des siècles plus tard, et sans avoir de lien avec ces religions, Spinoza partage une idée similaire :
Pour lui, l’Homme est de plus en plus libre qu’il agit selon sa nature, son “essence singulière” et non des causes qui lui sont extérieures.
Parce que oui, l’ego c’est souvent ce qui nous fait prendre des décisions par rapport à d’autres, pour les dépasser, les impressionner, les rabaisser ou encore les séduire.
Pour les curieux, selon Baruch, cette liberté s’atteint à l’aide de 3 connaissances distinctes :
Imagination et opinion
Raison (pour connaître et ordonner nos affects)
L’intuition (Saisir la relation entre une chose finie et une chose infinie, entre l’existence modale de notre corps et de notre esprit et l’existence éternelle des attributs divins).
(La suite et les détails dans l’incroyable livre “Le miracle Spinoza”, de Frédéric Lenoir).
Et les stoïciens dans tout ça ?
Pour terminer ce tour d’horizon (non exhaustif) des écrits sur le sujet qui sont venus compléter mon expérience, je voulais vous partager (encore, oui je sais mais il était très fort en citation) cet extrait de Pensée pour soi de Marc Aurèle :
L’être intelligent est d’autant supérieur aux autres êtres qu’il est prêt à se mêler et à se fondre avec ce qui lui est propre.
En tout cas, pour commencer, on trouve chez les animaux privés de raison des essaims, des troupeaux, des oisillons dans les nids, des amours en quelque sorte. Car à ce stade il y a déjà des âmes, et leur faculté de rassemblement tend vers un degré supérieur à celui qu’on trouve chez les plantes, les pierres, le bois. Chez les animaux doués de raison, on trouve des cités, des associations, des maisonnées, des rassemblements et en temps de guerre, des traités, des armistices. (…)
Vois donc ce qui se passe présentement : seuls les êtres intelligents ont oublié leur affinité, leur attraction, et à ce seul niveau on ne voit pas de concours. Pourtant, même s’ils se fuient, ils sont tenus tous ensemble : la nature est la plus forte. Tu verras ce que j’affirme si tu fais attention.
Cette pensée illustre bien la position des stoïciens sur le sujet de l’ego, un défaut de l’Homme lié à son niveau d’intelligence. Une illusion engendrée par notre incapacité à gérer nos émotions, qui nous pousse à agir de manière égoïste et oublier notre nature qui elle, nous pousse à agir pour le bien commun.
Ce que j’en retiens
Trois courants de pensée, érigés par des personnes que l’on peut considérer comme “sages”, qui parviennent, sans échanger, à des conclusions similaires ?
On peut raisonnablement se demander si on ne tient pas un truc !
🏆 Néanmoins, cela reste des idées. Des idées en compétition avec d’autres sur un genre de marché libre des idées qui circulent dans le monde et dans nos sociétés.
Par exemple, dans nos sociétés occidentales, le “je” est une entité très valorisée, mise en avant à travers les religions et notre culture. C’est cette chose qui est bien installée dans notre tête, c’est ce qu’on pense de nous et qui contrôle tout un tas de choses comme nos émotions, nos choix et nos actions. C’est en étant un bon “je” qu’on monte au paradis, qu’on devient un Homme à succès ou un bon parent.
Moi, je commence plutôt à pencher pour l’autre idée. Celle de l’illusion de l’ego. Et quand je tombe sur la citation de Terence James Stannus Gray (Un producteur de théâtre anglais également auteur de plusieurs livres sur la philosophie Taoïste) :
“Why are you unhappy? Because 99.9 percent of everything you think, and of everything you do, is for yourself — and there isn’t one.”
🇫🇷 : “Pourquoi es-tu malheureux ? Parce que 99,9% de tout ce que tu penses et de tout ce que tu fais, tu le fais pour toi - et ce toi n’existe pas.”
Je me dis : pu*** ! (purée !)
C’est quand même dommage qu’on n’ait pas d’éléments scientifiques sur le sujet. Vu les sages qui en parlent et le positif qui en est ressorti pour moi, ça peut sûrement aider un tas d’autres personnes.
On en a parlé ensemble : changer sa perception des choses et ses habitudes nous demande énormément d’effort. Un petit coup de pouce de la science ne sera pas de trop pour convaincre un cerveau gauche qui n’en fait qu’à sa tête.
👵 Et ça y est, il est reparti pour jouer l’apprenti scientifique
Non, non, c’est pas moi cette fois ! Ça a été fait bien mieux que ce que je pourrai jamais réaliser.
Ce que nous dit la science
On a fait pas mal de découvertes importantes par hasard : le phonographe, la radioactivité, la dynamite ou la tarte tatin en font partie.
Même si je pourrais parler encore longtemps de tarte tatin, ce n’est pas le sujet du jour alors revenons à nos 🐑.
Au départ, des études sur des cas d’épilepsie sévère
🧑🔬 Nos deux protagonistes sont Roger Sperry et Michael Gazzaniga, deux scientifiques et chercheurs renommés dans l’histoire des neurosciences.
Leur hypothèse est la suivante : en coupant le “pont” (la communication) entre les deux parties du cerveau, il sera plus facile de contrôler ces cas d’épilepsie sévère. Sans refaire toute l’expérience : ils avaient juste et R. Sperry remporta un prix Nobel en 1981 pour ce travail.
Là où ça devient intéressant pour nous, c’est que chaque hémisphère du cerveau a ses propres responsabilités. Lorsqu’on coupe la communication entre les deux, on peut les analyser individuellement.
J’ajoute, pour une bonne compréhension de la suite, que l’hémisphère droit contrôle la partie gauche du corps et vice-versa ! C’est notamment le cas pour la vue ou l’ouïe, ce qui rend possible les expériences suivantes.
Récit d’expérience :
Dans une de ses expériences, Gazzaniga présente le mot “marcher” au cerveau droit d’un patient :
(Le patient a donc l’œil gauche ouvert).
Immédiatement, le patient se lève et commence à marcher pour quitter la salle où avait lieu le test.
Quand il a interrogé le cerveau gauche du patient (en bouchant l’oreille… ?) pour lui demander pourquoi il marche, le patient lui répond : “Je vais chercher un coca dans la maison”.
C’est plausible. Mais c’est totalement faux !
Pour un autre test, le mot “rire” est partagé au cerveau droit d’une patiente :
La patiente se met à rigoler !
Quand on demande pourquoi à son cerveau gauche, elle répond : “Vous venez nous tester chaque mois. Quel moyen incroyable de gagner sa vie”.
Encore plausible. Mais encore faux !
Qu’en retenir ?
Ce qui ressort de cette expérience, c’est que notre cerveau gauche nous permet de tout justifier. Il peut toujours trouver une explication plausible. Et il le fait en étant convaincu qu’il a raison !
Plusieurs études au cours des dernières décennies sont venues confirmer ces découvertes et l’appétence de notre cerveau gauche pour trouver des explications à tout, aussi fausses soient-elles. Même chez les personnes avec un fonctionnement normal du cerveau.
💡Ce que j’en retiens, c’est que cette petite voix qu’on peut identifier comme “nous-mêmes” ne l’est pas forcément. En avoir conscience, c’est un premier pas pour éviter de toujours s’identifier à ses pensées et se laisser diriger par ce cerveau gauche qui nous bombarde d’histoires en continu.
Quelques moyens de le tester par vous-même
On penche à droite :
Selon certaines études, face à un choix, l’Homme a une forte tendance à choisir ce qui est à droite. Il n’est pas question de préférence de l’objet mais d’un biais cognitif ! Néanmoins, on est tout à fait capable de fournir une explication rationnelle pour expliquer son choix. Tu peux faire le test avec ton frère, ta sœur ou des copains !
(Non, ça ne s’applique pas à la politique. Même si on penche effectivement trop de ce côté à mon avis, cela n’est pas dû à un biais cognitif ! On parle ici d’items physiques disposés sur une même ligne).
Quel est ton film préféré ?
C’est aussi une expérience que tu peux faire avec un proche. Demande-lui quel est son film préféré et pourquoi. Puis réitère l’expérience quelques jours plus tard. Le film sera très probablement différent et l’explication qui va avec d’autant plus !
🍰 L’expérience marche aussi avec ta musique ou ton dessert favori !
Reconnaître cette petite voix qui n’est pas nous :
Cette méthode m’a paru (très) loufoque au départ mais après l’avoir relu plusieurs fois (et expérimenté), je l’ai trouvé assez pertinente pour vous la partager :
Lis les prochains numéros sans compléter la suite logique en remplissant le blanc avec cette voix intérieure. 3,2,_. Est-ce que tu t’es entendu dire “un” ?
Vas-y, répète l’exercice et essaye de ne pas le dire.
La voilà cette illusion du soi. Cette petite voix, ce n’est pas “toi”, ce n’est pas ce qui contrôle ! Et tu peux répéter l’expérience avec d’autres types de pensées qui occupent l’esprit : si tu ne peux pas la faire taire, ce n’est sûrement pas “toi” qui parle.
👵 C’est un cours de science ou tu vas trouver un lien avec le bonheur ?
J’arrive, j’arrive !
Quel rapport avec notre bonheur ?
On a et on va tous vivre des moments douloureux, de frustration et de tristesse. En confondant cette petite voix à l’intérieur avec soi-même, on se crée la majeure partie de nos souffrances mentales.
Bah oui. On reste rarement des nuits sans dormir ou des heures à se torturer l’esprit pour d’autres personnes. Ce sont souvent nos problèmes : mes problèmes au travail, mes peines de cœur, mes échecs sportifs, mes angoisses pour l’avenir…
Si on arrive à se détacher de ce “je”, on peut se libérer de tout un tas de douleur : la jalousie, la colère, la haine, le regret, la honte, l’anxiété… Ça fait une belle liste de choses dont on se passerait bien non ?
C’était vrai selon certains courants de pensée, maintenant ça l’est aussi selon la science. Et ça fait une bonne raison supplémentaire pour essayer !
🌻 Alors oui, c’est un défi énorme et je ne suis pas certain qu’un seul d’entre nous sur le chemin atteigne l’éveil tel un moine Bouddhiste. Néanmoins, le simple fait d’y penser et de progresser un peu dans cette direction est une étape super importante ! Un pas pour se libérer d’émotions négatives et vivre plus heureux.
🎁 Le truc qui m’aide sur ce sujet
Il y a une phrase qui m’aide beaucoup dans mes relations avec les autres et les émotions qui y sont liés : “Ne jamais en faire une affaire personnelle”.
Autant que personne ne regarde le film de ta vie, personne ne tourne son film autour du tien. Chacun fait de son mieux avec les outils qu’il a.
Mets-toi à leur place tout en gardant à l’esprit que tu ignores un tas de choses sur ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils ressentent en ce moment… C’est plus sensé et plus sain d’avoir de la compassion pour eux que de leur en vouloir !
Moi, j’essaye d’imaginer comment je réagirais si c’était mon frère ou mon meilleur ami qui était en face de moi. Je n’y arrive clairement pas à chaque fois mais je progresse. 🦋
⛰️ Des chemins pour aller plus loin
✍️ Article : Eastern philosophy says there is no “self.” Science agrees
📚 Livre : Pensées pour moi-même - Marc Aurèle
📚 Livre : Et si vous m’expliquiez le Bouddhisme ? - Ringou Tulkou Rimpotché
📚 Livre : Le miracle Spinoza : Une philosophie pour éclairer notre vie - Frédéric Lenoir
🎙️ Podcast : The Stoic Path - William B. Irvine sur l’application Waking Up
Très intéressant, merci !